Des mots chuchotés au coin du feu : la tradition orale dans le Blaisois

Avant l’époque des livres à la portée de tous, avant la généralisation de l’école et du journal local, c’est la parole qui portait l’histoire, la mémoire, les peurs et la fierté des habitants de nos campagnes. Autour de Seur, comme dans beaucoup de villages du Loir-et-Cher, les récits anciens se sont longtemps transmis de bouche à oreille, lors des veillées ou dans les champs. Cette tradition orale, aujourd’hui fragile mais toujours perceptible dans certains récits de famille, a façonné l’identité locale et donné vie à mille personnages et merveilles.

Recueillir ces bribes de mémoire, c’est remonter le fil du temps. Les ethnologues, les collecteurs de contes comme Paul Sébillot ou Anatole Le Braz, mais aussi le Centre d’Etudes et de Documentation sur l’Oralité (CEDOPO) à Blois, ont documenté depuis plusieurs décennies ce patrimoine vivant, souvent menacé de disparition. L’un des plus grands fonds sonores de la région Centre-Val de Loire (près de 700 heures d’enregistrements selon le CEDOPO) témoigne de cette vitalité passée.

Légendes d’eau, de pierre et de forêts : histoires typiques du Val de Loire

Le territoire entre Loire et forêts, autour de Seur et dans les villages voisins (Cellettes, Candé-sur-Beuvron, Chitenay, Cheverny…), regorge d’histoires où la nature tient la vedette. Ces récits mêlent l’imaginaire local, le souvenir de faits réels et la volonté de transmettre une sagesse populaire, souvent sous forme d’avertissement.

  • Les fontaines miraculeuses : Près de Cellettes ou de Chitenay, la fontaine de Sainte Radegonde était réputée pour guérir les enfants malades et protéger du « mauvais œil ». Réciter une prière et passer l’enfant sous l’eau était tout un rituel durant le XIX siècle (source : Archives Départementales du Loir-et-Cher).
  • Les pierres à légende : Aux alentours de Cheverny, la « pierre qui tourne » fait le tour de son champ à minuit, selon les anciens. Ces récits sont communs à plusieurs paroisses et ont pour origine un mélange de croyance païenne (liée aux mégalithes) et de christianisation de la campagne.
  • La sorcière du Beuvron : Plusieurs villages au bord du Beuvron racontaient la peur d’une vieille femme, soupçonnée d’avoir pactisé avec le Diable après avoir été vue plusieurs fois « flotter sur la rivière » par temps de brume (cf. récit recueilli par Hélène Vallée, Contes et légendes de la Sologne, éd. CPE).

Si la Loire charrie de nombreuses histoires (naufrages, trésors engloutis, apparitions), les « petits » ruisseaux locaux en recèlent autant, contribuant à la richesse de l’imaginaire local.

Des personnages hauts en couleur : colporteurs, revenants et saints populaires

Outre les paysages, les récits oraux sont souvent peuplés de personnages dont la mémoire collective a gardé le nom ou la silhouette, mais dont la réalité s’estompe avec le temps.

  1. Les colporteurs, commis voyageurs ou « marchands de nouveautés », sont au centre de nombreuses légendes. À Chouzy-sur-Cisse ou Mont-prés-Chambord, ils étaient réputés « savoir tout sur tout ». On raconte que l’un d’entre eux aurait prédit une grande crue en 1856 en observant le vent et les oies migratrices : la confidence, écoutée lors d’une veillée, a sauvé plusieurs habitations du village.
  2. Les revenants peuplent les chemins de traverse. On dit que, la nuit, à l’écart de Seur, des « feux follets » guident parfois les promeneurs attardés, manifestation selon la croyance d’âmes en peine ou de trésors cachés. La région regorge d’endroits appelés « le pré au Diable » ou « chemin du fantôme », souvent liés à une mauvaise rencontre nocturne racontée pour tenir les jeunes farceurs éloignés des chemins dangereux.
  3. Les saints protecteurs locaux forment aussi un pan du folklore. Le culte de saint Martin, par exemple, est extrêmement vivace dans le Loir-et-Cher : on lui attribue la création de plusieurs sources ou la guérison miraculeuse de troupeaux frappés par une épidémie vers 1890, lors d’une procession à Chitenay (souce : Patrimoine Région Centre).

Histoires de peurs et de veillées : sorcellerie et phénomènes inexpliqués

Les villages autour de Seur, comme une grande partie du Val de Loire, ont longtemps entretenu une culture de la peur, alimentée par la nuit, la forêt abordée comme hostile, et tous les bruits étranges qui s’en dégagent. Soirées d’hiver, grandes tablées et nuits de pleine lune étaient prétextes à narrer des histoires de sorciers, de bêtes fantastiques ou, plus récemment, d’OVNI — mais cette dernière thématique est évidemment bien postérieure.

Sorcières et rebouteux : entre crainte et respect

La peur des sorcières domine l’imaginaire jusqu’au début du XXe siècle dans la région. À Chailles ou Saint-Gervais-la-Forêt, certaines femmes puissantes suscitaient admiration et frayeur : guérisseuses, « leveuses de sorts », elles étaient consultées pour des maux sur lesquels la médecine hésitait. Leur réputation dépassait parfois les frontières du village, comme celle de Jeanne Lacaud, à qui l’on attribuait le pouvoir de rendre muets les chiens du voisin (témoignage recueilli en 1906 par le folkloriste F. Mérillon).

Nombre d’affaires de « maléfices » sont consignées dans les registres paroissiaux ou les récits policiers du XIXe siècle. Si plusieurs procès de sorcellerie ont effectivement eu lieu dans le Loir-et-Cher avant 1780 (Archives départementales), l’essentiel de ces histoires s’est transmis par la rumeur, alimentant une psychose parfois lourde de conséquences pour les personnes accusées.

Phénomènes étranges et phénomènes expliqués

  • Les feux de Saint-Elme, petits éclairs lumineux observés surtout sur les clochers ou les moulins, étaient attribués à la visite d’anges ou du diable. Plus tard, ils seront expliqués scientifiquement comme phénomènes électriques liés à l’orage.
  • Les cris venus des profondeurs : Sous la crypte de certaines églises de la région (Bracieux, Candé), on racontait que des plaintes se faisaient entendre durant la Toussaint, interprétées comme l’appel des âmes du purgatoire. Ces récits, aux racines médiévales, incitaient à la prière et à la réconciliation.

Transmission et collecte : des voix qui survivent

Avec la généralisation de l’école et l’arrivée de la radio, les veillées ont disparu du paysage villageois, mais la collecte des contes et légendes a permis d’en sauvegarder une grande partie. Dès les années 1970, des campagnes d’enregistrement par la Maison de la Culture de Blois et des chercheurs comme Gilbert Lely ont permis de sauvegarder une partie inestimable de récits.

Aujourd’hui encore, plusieurs associations comme CHATO patrimoine et mémoire collectent les histoires de village, les chansons, les recettes et les traditions orales. À Seur même, lors des journées du patrimoine, on propose parfois des « balades contées » où chacun peut entendre, à défaut d’une veillée, ce qui se murmurait jadis entre les murs. Selon l’étude « Mémoire des villages du Loir-et-Cher » (INSEE, 2020), on estime que près de 65% des habitants de plus de 70 ans se souviennent d’au moins une histoire racontée par un proche dans leur enfance.

De l’oral à l’écrit : pourquoi garder vivantes ces histoires ?

Survivre dans la mémoire, voilà le défi des récits anciens. D’abord transmis de façon orale, ces histoires font aujourd’hui l’objet de recueils, d’émissions locales (France Bleu Orléans), et de livres dédiés, comme Contes populaires du Blésois et de la Sologne d’André Boulanger (éd. CPE). Si la part de merveilleux se mêle parfois à la réalité, leur fonction reste essentielle : renforcer les liens d’une communauté, transmettre la prudence, valoriser le territoire et laisser vivre, encore aujourd’hui, une forme de poésie collective.

À travers chaque fontaine, chaque pierre ou chaque ruelle, la trace de ces récits est encore là, accessible si l’on tend l’oreille lors d’une promenade ou d’une rencontre avec les anciens. Car l’histoire d’un lieu, souvent, commence bien avant les archives officielles et reste à l’écoute de tous ceux qui acceptent de s’en faire l’écho.

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