La fontaine miraculeuse près de Seur : histoire et légende

À moins de deux kilomètres du centre de Seur coule la fontaine Saint-Martin, discrètement nichée à la lisière d’un bois. Cette source, mentionnée dès le Moyen Âge sur le cadastre napoléonien, est probablement le vestige d’un culte bien antérieur au christianisme (voir Persee, L’eau dans les traditions populaires de la France).

La légende attribue à cette fontaine des vertus curatives remarquables. On disait qu’une goutte de son eau pouvait soigner les maux de gorge et les fièvres persistantes, à condition de la recueillir à l’aube, lors de la Saint-Martin (11 novembre). Cette croyance a perduré jusque dans les années 1930. Certaines familles venaient de Chailles ou Les Montils, portant leurs enfants malades afin d’implorer la guérison, un cierge à la main. La fontaine, décorée temporairement de rubans, devenait alors un lieu de rassemblement inhabituel.

  • Les registres paroissiaux de la commune évoquent aussi des processions jusqu’à la fontaine, conduites par les enfants de chœur, encore attestées en 1887.
  • Des pièces de monnaie ou épingles de cuivre, retrouvées lors de travaux de drainage dans les années 1970, témoignent encore de pratiques votives.

Croyances populaires : échos d’un lointain héritage

Longtemps, la vie rurale de Seur a été accompagnée de croyances où le merveilleux côtoyait le quotidien. Les récits collectés par l’abbé Pascal dans les années 1870 (source : « Chroniques de Sologne », par l’abbé Pascal, 1878) en livrent quelques éclats fascinants.

  • La « chasse volante », cortège invisible de bruits nocturnes, inquiétait les veilleurs tardifs, qui y voyaient le passage des âmes non apaisées. Elle aurait traversé à plusieurs reprises la grange Lucien, près de la route de Cellettes.
  • Des pierres alignées à la sortie nord du bourg étaient, selon la tradition, les restes pétrifiés de voleurs surpris la nuit de la Saint-Jean par un ange vengeur. D’autres pensaient qu’elles délimitaient le territoire des « blancs moutons », êtres mystérieux responsables du brouillard persistant.
  • Lors des orages, on plaçait sur les seuils des chaumières des bouquets de millepertuis cueillis à la Saint-Jean, censés détourner la foudre ; une coutume signalée jusqu’au début du XX siècle.

Ces croyances révélaient une relation étroite avec la nature et un besoin de donner sens à des événements aléatoires qui pouvaient menacer la communauté.

La Saint-Martin : croyances, rituels et partages

La Saint-Martin (fêtée le 11 novembre), bien plus qu’une date calendaire, marquait traditionnellement le début de la morte-saison. Dans le bourg de Seur et dans les hameaux voisins, elle s’accompagnait d’usages spécifiques, évoqués dans les journaux locaux dès 1864 (Journal du Loir-et-Cher, 1864).

  • La veillée des laboureurs : Les fermiers renouvelaient leurs baux à la Saint-Martin. Une grande tablée rassemblait familles et domestiques autour d’un « pot de l’amitié », où l’on servait parfois du vin nouveau et du pain frais.
  • La tradition du « ramasse-branches » : Les enfants parcouraient le village pour ramasser du bois, formant des feux symboliques à la tombée du soir. Les restes du bûcher étaient consignés comme de porte-bonheurs dans de vieux carnets municipaux.
  • Le partage du boudin : Quelques familles de Seur se remémorent encore le rituel du boudin de la Saint-Martin, élaboré solennellement lors de l’abattage du cochon, partagé entre voisins.

Ce moment charnière ouvrait la saison des veillées et renforçait la solidarité paysanne à l’aube de l’hiver.

La transmission orale des récits anciens

Autour de Seur, la tradition orale fut le principal vecteur de la mémoire collective, longtemps avant l’alphabétisation massive. Les anciens, lors des veillées d’hiver ou à l’occasion des vendanges, racontaient des histoires à la fois divertissantes et éducatives.

  • Certaines familles du hameau de La Mouillère se transmettent encore l’histoire du « tourneur de croix », figure mystérieuse qui, chaque automne, aurait déplacé les croix de carrefour pour égarer les esprits vagabonds.
  • Les récits de la « dormeuse de Saint-Sulpice », jeune servante qui se serait endormie cent ans dans une vieille cave des environs après avoir mangé un fruit défendu, étaient racontés aux enfants pour les inciter à la prudence.
  • Des histoires plus récentes évoquent le passage des prisonniers de guerre dans le bourg lors des conflits mondiaux, mémoire encore recueillie lors d’entretiens avec les anciens en 2015 par l’association Histoire et Patrimoine de Seur.

Cette oralité demeure un patrimoine fragile, mais essentiel à la compréhension de l’âme locale.

Les pierres, supports de superstitions et d’histoires

Seur, comme une grande partie du Val de Loire, regorge de petits monuments et pierres énigmatiques, souvent associés à des légendes ou des croyances superstitieuses.

  • La Pierre du Chien : Bloc isolé le long de l’ancien chemin de Blois, il aurait, selon la tradition, été le siège d’un animal légendaire venu protéger le village lors de la peste de 1710. On y déposait, jusque dans les années 1920, quelques croûtes de pain lors des épidémies. (Source : Archives communales de Seur, registre du XIX siècle)
  • Les bornes gallo-romaines : Certaines, exhumées lors des travaux ferrovaires du XIX siècle, étaient perçues comme des « pierres à souhaits » : toucher la borne en faisant un vœu durant la lune montante aurait garanti fertilité ou prospérité.
  • Pierres à cupules : Quatre fragments repérés près du bois Oublié présentent de petites cavités artificielles. Une enquête ethnographique menée en 1983 suggérait l’usage de ces pierres lors de rituels destinés à apaiser la grêle ou attirer la pluie.

L’attachement aux pierres symboliques atteste d’un dialogue persistant entre histoire, croyances et paysage.

Figures légendaires et personnages du terroir

Si Seur ne compte pas de « grand » personnage historique de renom national, le terroir n’en est pas moins peuplé de figures populaires et de héros du quotidien.

  • Saint Martin : Patron du village, il véhicule à la fois le miracle et l’humilité. On raconte que sa cape aurait recouvert des malades lors d’une épidémie vers 1360, un récit repris, avec variantes, dans plusieurs villages de la vallée de la Cisse (Bulletin monumental, 1901).
  • La Mère Cresson : Cette mystérieuse guérisseuse du début XIX siècle, installée à l’écart du bourg, aurait transmis ses recettes et ses charmes jusque dans les années 1850. On disait que sa tisane au millefeuille soignait aussi bien les humains que le bétail.
  • Jean Pivert : Modeste vigneron du bourg, il marqua son époque par ses chansons à boire et ses réparties en patois, devenant la source inépuisable d’anecdotes, toujours rapportées avec malice lors des fêtes villageoises.

Traditions agricoles, calendriers et coutumes de Seur

La ruralité séculaire de Seur a imprimé ses propres rythmes sur la vie quotidienne et les croyances locales. Le calendrier agricole se doublait de véritables rites, où l’on conjuguait travail, prévisions météorologiques et solidarité.

  • La « messe des rogations » ouvrait la période de semis de printemps. On parcourait les champs pour bénir les futures récoltes et éloigner la tempête. Selon le curé Tardif (notes paroissiales, 1872), cette procession réunissait quasiment tous les habitants, accompagnés d’épouvantails ornés de bouquets.
  • Les vendanges communautaires étaient autant une fête qu’une nécessité. Dès la fin septembre, les familles se retrouvaient pour récolter le raisin, se lançant des défis amicaux et partageant de grandes tablées. La fameuse soupe aux « cailloux rouges » (petits haricots rouges locaux) était servie à cette occasion.
  • L’almanach des dictons rythmait la vie paysanne : « Les choux semés à l’Assomption donneront pain à la maison » ou « À la Saint-Gengoux, les vignes sont prêtes pour le feu ». Ces maximes témoignent de l’ancrage des pratiques agricoles dans la pensée collective.

Les fêtes qui animaient Seur au XIX siècle

Si aujourd’hui le calendrier des festivités s’est recentré, au XIX siècle, la vie à Seur et dans les villages alentours était rythmée par plusieurs célébrations structurantes.

  • La fête patronale début novembre, en l’honneur de Saint-Martin, attirait forains, musiciens et camelots venus de tout le canton. En 1845, le curé Tallandier déplorait déjà l’esprit trop joyeux de ces jours d’allégresse, notant pourtant que la fréquentation doublait l’espace d’un week-end (archives paroissiales de Seur).
  • La foire aux chevaux de juin animait jusqu’à six communes voisines. Marchands et éleveurs venaient de Blois et Montrichard – en 1872, 113 bêtes furent échangées sur la place de Seur, un record local (Le Loir-et-Cher illustré, 1872).
  • Les feux de la Saint-Jean, entretenus jusqu’à la Grande Guerre, réunissaient jeunes et anciens pour des joutes chantées, la confection de couronnes de fleurs et parfois des jeux de force, véritables épreuves collectives du début de l’été.
  • La fête des battages connue dans toute la Vallée de la Cisse, clôturait la moisson autour de grands repas, où l’accordéon et la danse aidaient à « oublier la fatigue ».

La mémoire de ces festivités transparaît encore dans les archives municipales, offrant un aperçu d’une vie villageoise intensément partagée, marquée alternance de rituels païens et religieux, de réjouissances et d’entraide.

Perspectives : l’héritage vivant des traditions de Seur

Aujourd’hui, si certaines légendes et pratiques ont disparu, de nombreux habitants et associations de Seur et des environs s’attachent à faire vivre cet héritage. Les journées du patrimoine, les lectures de contes à la bibliothèque communale ou les petits festivals agricoles sont autant de ponts entre passé et présent. Redécouvrir ces traditions invite à regarder autrement les paysages, villages et gestes du quotidien : chaque pierre, chaque fête et chaque histoire, loin d’être anodines, participent pleinement à l’identité locale, et continuent à façonner l’avenir de ce territoire attachant du Loir-et-Cher.

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