Entre Loire et Sologne : un territoire à la croisée des conflits

Le Loir-et-Cher, territoire de passage entre les royaumes du nord et les terres du sud, a été au Moyen Âge un véritable carrefour stratégique. Seur, modeste village accroché sur les rives du Beuvron, n’a certes jamais été le théâtre de batailles célèbres, mais il partage le destin houleux de cette région ballottée entre grands seigneurs, guerres féodales, raids dévastateurs et puissants affrontements, dont la fameuse Guerre de Cent Ans. Comprendre les conflits médiévaux qui ont touché Seur et ses environs, c’est remonter le fil d’une histoire souvent oubliée, mais dont les traces jalonnent encore les paysages et les mémoires.

Les rivalités féodales : petite seigneurie, grandes ambitions

Dès le XI siècle, le territoire entourant Seur voit s’affronter de multiples pouvoirs locaux. Quand on évoque le Moyen Âge, on pense souvent à des rois et des chevaliers, mais la majeure partie des conflits de la région sont avant tout des querelles féodales : lutte de châteaux, concurrence pour la maîtrise des ponts sur le Beuvron ou le Cosson, tensions pour le contrôle de petits fiefs.

  • Le château de Blois, à seulement 12 km de Seur, impose son influence sur la vallée du Beuvron dès le XI siècle. Les comtes de Blois, puissants vassaux du roi de France, étendent leurs droits seigneuriaux sur les terres alentours, mais font face à la concurrence des seigneurs de Cheverny et de Chambord (futur site du célèbre château).
  • Au sud, la baronnie de Contres tente elle aussi de grappiller des terres, donnant parfois lieu à des escarmouches, comme en témoignent des archives de la fin du XII siècle conservées aux archives départementales (Archives départementales du Loir-et-Cher, série E).
  • Le village de Seur lui-même relève de la châtellenie de Cour-sur-Loire, mais la multiplicité des droits féodaux entraîne régulièrement contestations et conflits de voisinage, notamment concernant les prélèvements de corvées, dîmes et taxes seigneuriales (cf. Étude de F. Soyer, 1989, “La féodalité dans la vallée du Beuvron”).

L’histoire locale révèle des querelles sur la propriété des moulins, le droit de pêche sur le Beuvron et même sur la possession de petits bois au nord du village, ce qui donne la mesure de l’enjeu des territoires, aussi modestes soient-ils.

Raids et invasions des hommes du Nord : les prémices de l’insécurité médiévale

Bien avant les affrontements franco-anglais, la région de Seur – comme tout le bassin ligérien – subit la menace des Vikings à la fin du IX siècle. La chronique de Saint-Aignan d’Orléans mentionne, en 853 et 873, le passage de bandes nordiques le long de la Loire (source : Chronique de Saint-Aignan, Bibliothèque Nationale de France, ms lat. 12744).

  • En 855, deux partis de “Normands” poussent jusqu’à Blois, incendient une partie de la ville et rançonnent les campagnes voisines. Les villages de la vallée du Beuvron, peu fortifiés, se replient alors vers les mottes castrales et les églises, qui servent de refuges.
  • Ces incursions marquent durablement l’organisation du territoire : construction des premières fortifications de terre (“mottes féodales”) dont certaines traces subsistent à Ouchamps et Candé-sur-Beuvron.

Si aucune source n’atteste formellement d’une attaque directe sur Seur, tous les villages du secteur sont soumis à la peur des razzias et à la nécessité de composer avec une insécurité permanente.

Le poids du voisinage Plantagenêt : entre Anjou, Orléanais et Touraine

Au XII siècle, l’histoire locale prend une dimension géopolitique nouvelle. Le grand voisin à l’ouest, le Comté d’Anjou, passe sous la domination des Plantagenêt — rois d’Angleterre à partir d’Henri II. Cette dynastie contrôle la Touraine toute proche, et lorgne sur l’Orléanais.

  • Entre 1150 et 1200, la région de Seur se retrouve placée entre deux sphères d’influence rivales : à l’ouest, les Plantagenêt, au nord et à l’est, les Capétiens. Plusieurs chroniques rapportent des escarmouches autour de Chaumont-sur-Loire, et, en 1188, une chevauchée anglaise aurait causé des ravages dans la vallée du Cosson (source : Chronicon Turonense).
  • Les villages fortifient alors leurs églises et protègent leurs récoltes. Certains documents médiévaux font état, en 1196, de contributions exceptionnelles (“taille de guerre”) imposées aux communautés rurales voisines de Seur, pour financer la défense contre les troupes du roi d’Angleterre (cf. “Registres paroissiaux anciens de Candé”, Archives diocésaines de Blois).

Le souvenir de cette époque se retrouve parfois dans la toponymie locale, comme le “Chemin des Anglais” signalé dans le cadastre napoléonien de Cellettes, à moins de 8 km de Seur.

La Guerre de Cent Ans : Seur au gré des pillages et des épidémies

C’est durant le XIV et le XVe siècle que Seur et les villages du Beuvron connaissent la période la plus sombre de leur histoire médiévale. Après la défaite de Crécy (1346), toute la vallée de la Loire voit se multiplier passages de troupes, bandes de mercenaires et moments d’effroi.

1356 : l’année du grand passage

  • Après la bataille de Poitiers (1356), une portion de l’armée anglaise, menée par le Prince Noir, traverse la Sologne. Le chroniqueur Jean Froissart évoque des troupes pillant “le pays de Blois et la contrée de Beuvron” (Jean Froissart, Chroniques).
  • À cette époque, Seur est dépourvu de remparts. L’église Saint-Firmin sert d’abri pour les habitants, et des biens sont cachés dans les granges. Plus au nord, à Vineuil, la tradition orale rapporte des incendies à la suite du passage des “routiers”, ces soldats sans solde (source : C. Legris, “Les Églises fortifiées du Loir-et-Cher”).

Les compagnies de “routiers”

  • La région est alors la proie de compagnies de “routiers” ou de “grand’compagnie” : mercenaires désœuvrés, anciens soldats qui s’organisent en bandes. En 1360/1370, plusieurs plaintes sont déposées par les habitants de Cour-sur-Loire et de Cellettes à propos de “l’enlèvement de bestiaux et le saccage de greniers et pressoirs” (source : Registres de la Sénéchaussée de Blois).

Le déclin démographique et la peste noire

  • Au contexte guerrier s’ajoute la peste : la grande épidémie de 1348 frappe durement la vallée du Beuvron. Les chiffres du “pouillé” de l’évêché de Chartres attestent d’une baisse de la population de moitié dans le secteur entre 1348 et 1380.

La Guerre de Cent Ans ne laisse pas toujours de ruines spectaculaires, mais on retrouve dans les archives et dans la morphologie agraire locale de nombreux indices de “recul du peuplement” : terres laissées en friche, hameaux désertés, changement d’emplacement des villages (cf. E. Crété, “La Guerre de Cent Ans”, Perrin, 1978).

L’écho des grandes batailles : proximité de Blois, Loire stratégique

Si Seur reste à l’écart des champs de bataille majeurs, sa proximité avec Blois, ville forte et civitas majeure dès le Moyen Âge central, lui assure une implication indirecte dans plusieurs événements :

  • En 1429, lors du passage de Jeanne d’Arc à Blois avant la levée du siège d’Orléans, la vallée du Beuvron devient un couloir logistique, réquisitionné pour l’approvisionnement des troupes françaises (source : Procès de Jeanne d’Arc, Témoignage de Jean de Metz).
  • Plusieurs seigneurs des environs de Seur accompagnent alors la “Pucelle”, dont Jean de Mauprivez, dont le nom apparaît dans la charte de la paroisse d’Ouchamps.
  • Dès 1430, la paix revenue, des édits royaux incitent à repeupler les campagnes. Près du tiers des terres de Seur sont alors déclarées “en état de désert” ou de “terre vaine”, selon les estimations de l’intendance de Blois (rapport de 1465, Archives nationales, JJ180).

La Guerre de Cent Ans, puis la reprise en main progressive du pouvoir par les rois valois, marquent la fin de ces périodes d’insécurité endémique.

Traces et héritages : mémoires paysagères des conflits

En flânant aujourd’hui autour de Seur, on ne soupçonne guère les siècles de conflits qui ont marqué les lieux. Pourtant, quelques indices se cachent au détour des chemins :

  • Mottes féodales : ces petites buttes artificielles datent souvent du premier âge féodal (Xe-XIIe s.), vestiges de tours de guet destinées à surveiller les vallées.
  • Églises fortifiées : l’église Saint-Firmin de Seur porte encore les traces d’un clocher-mur renforcé et de grilles, caractéristiques des lieux de repli communautaire.
  • Chemins médiévaux : chemins creux, bornes de limite, vieux toponymes évoquent une époque où il fallait se protéger – et parfois fuir.
  • Châteaux en ruine : les ruines du manoir de Chavigny ou de la motte castrale d’Ouchamps témoignent encore, muets mais éloquents, des splendeurs et des turbulences du Moyen Âge local.

La tradition orale, elle aussi, conserve parfois la mémoire de ces temps troublés : légendes de souterrains reliant les villages, récits de “trésors cachés sous les pierres d’église”, qui font écho aux histoires de pillards et de bandes armées.

Poursuivre l’exploration : une histoire à redécouvrir au fil des villages

Si les grandes batailles ont épargné Seur, la vie quotidienne de ses habitants au Moyen Âge a gravité autour de cette réalité de l’insécurité, des luttes de pouvoir et des épreuves collectives. Aujourd’hui, le promeneur averti peut lire ces vestiges dans le paysage, les archives et les légendes.

Explorer cette histoire, c’est redonner de l’épaisseur à des lieux parfois oubliés, comprendre la persistance de certaines limites et traditions, et (re)découvrir un patrimoine discret, mais riche en anecdotes, en humanité et en récits à partager.

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